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Entretien avec Ahmed Seif el Islam

décembre 28, 2011

Liberté pour Alaa Abdel Fattah : pas de procès militaires pour les prisonniers politiques égyptiens.

 

Ahmed Seif El Islam Hamad. © 2011 Amnesty International

Alaa Abdel Fattah, blogueur, activiste révolutionnaire, vient d’être libéré – en attente de son jugement – ainsi que la plupart des prisonniers politiques arrêtés suite au massacre de Maspero du 9 octobre, au pied de la tour de radio et télévision d’Etat du Caire. L’armée égyptienne est toujours accusée d’avoir tué 27 manifestants, la plupart coptes, protestant contre la destruction d’une église près d’Assouan. Alaa Abdel Fattah, descendu dans la rue après l’annonce du massacre avait été arrêté le 30 octobre et accusé d’incitation « à manifester, à la violence, d’agression contre des membres de l’armée, de destruction de biens, et de vol d’armes » par un tribunal militaire. 

Son père Ahmed Seif el Islam, fondateur et directeur du centre Hicham Moubarak pour les droits de l’homme, connait bien la prison où le régime de Moubarak l’a déjà enfermé et torturé 5 ans. Le 7 décembre, alors qu’Alaa était encore détenu, il nous a reçu dans une clinique, en famille, en présence de sa femme, Leila, qui a mis fin à sa grève de la faim, sa fille, Mona, et la femme d’Alaa, Manal, qui a mis au monde un fils, Khaled, en souvenir de Khaled Said, torturé et assassiné par la police d’Alexandrie, à l’origine du mouvement révolutionnaire égyptien du 25 janvier 2011. Retour sur une bataille qui continue et une première victoire.

Combien de prisonniers politiques sont détenus par l’armée égyptienne ?
Début septembre, il y en avait 12 000. On est parvenu à en libérer entre 5000 et 6000. Certains viennent d’être capturés à nouveau lors des dernières mobilisations. J’espère que nous parviendrons à en libérer beaucoup d’autres. Peut-être que le Conseil militaire attend le 25 janvier 2012, pour annoncer une autre vague de libération.

Vous avez les preuves que les accusations portées contre Alaa Abdel Fattah sont fausses ?

Quand nous avons tenté de libérer Alaa, le 5 décembre, nous nous sommes appuyés sur les relevés de son compte twitter et de son téléphone portable qui montrent qu’il n’était pas sur les lieux de la manifestation, à Maspero, ni sur la place Tahrir, le 9 octobre, avant 21h. Si nous parvenons à établir ses preuves, alors les deux témoins, qui ont dit l’avoir reconnu vers 17h, ont donc menti.

Le jugement d’Alaa par la Cour civile d’urgence ne rend-t-elle pas le procès plus difficile ?
Non, c’est un tribunal civil qui assure plus la protection de la défense et permet de discuter des charges dont les militaires l’accusent. Toute la démarche d’Alaa consiste depuis le début à comparaitre devant un tribunal militaire alors que l’armée est pour le moins partie prenante des massacres commis à Maspero. Elle ne peut être juge et partie. Quinze autres personnes sont accusées par l’armée lors des événements de Maspero. Nous demandons pour tous que leur cas soient soumis à des tribunaux civils. Pour le moment, nous n’avons aucune réponse du juge. A cause des élections ? De la lenteur du processus judiciaire ? D’interventions ministérielles ? Nous ne savons pas.

L’abolition de tribunaux militaires pour les civils nécessite-t-elle de mettre fin d’abord à l’État d’urgence ?

Pas nécessairement, on peut obtenir le passage à un État civil sans mettre fin à l’état d’urgence qui prévaut depuis 1981 (assassinat de Sadate). La loi est flexible, c’est une décision politique que le Conseil militaire peut prendre. Le rapport publié par NHR établit que l’armée a commencé à attaquer en premier les manifestants rassemblés près de la tour de la radio-télévision d’Etat à Maspero, que le commandement militaire est impliqué. D’où l’insistance d’Alaa de refuser d’être jugé par les criminels.

Le Conseil militaire ne cesse de répéter, le Maréchal Tantaoui l’a réaffirmé récemment, qu’il ne veut pas rester au pouvoir et qu’il le cédera à un gouvernement civil, peut-on les croire ?

C’est ce qu’ils déclarent depuis 1954 ! C’est le même discours et rien n’a changé. Ils ont annoncé qu’ils écourteraient la période, sans précision de la date limite.

Alaa, dans une très belle lettre*, avait émis le vœu d’être libéré pour la naissance de son fils, Khaled. Aujourd’hui, vous êtes réunis autour de Khaled sans Alaa, comment ressentez-vous cette injustice ?

Nous avons une étrange famille. Mona, 25 ans, est née alors que j’étais en prison. Khaled vient de naitre alors que son père est emprisonné. Mais en même temps, je suis très triste. J’ai été emprisonné dans la même prison qu’Alaa (prison de Tora), dans le vieux Caire, pendant 8 mois. C’est la pire des prisons d’Egypte. En allant lui rendre visite récemment, j’ai eu l’impression que la seule chose que je lui ai transmis, ce n’est ni l’argent, ni la liberté, mais cette prison. J’espère que ce n’est pas ce qu’il va transmettre à Khaled. J’espère que Khaled vivra dans une société démocratique et moderne et que la libération d’Alaa aidera à rendre cette société meilleure.

Les élections législatives en cours, et la victoire annoncée des forces islamistes, sont-elles en mesure de changer la donne ?

La donne va changer. Les Frères musulmans, qui obtiennent pour le moment la majorité absolue en sièges, veulent abolir l’Etat d’urgence et le procès de civils devant des tribunaux militaires. Si Tantaoui refuse, alors il refuse la légitimité du Parlement et du peuple qui l’a élu. Si il le suit, alors nous avons des chances que cela modifie la donne avec le Conseil militaire. Je ne suis pas inquiet de la victoire des Frères musulmans. Les Frères musulmans ont souffert plus que les autres de l’Etat militaire, la plupart ont été longtemps emprisonné. Ils savent ce que cela signifie. Nous sommes sous un Etat militaire, pas sous un Etat islamiste. Et je préfère même les Salafistes à l’Etat militaire ! Personne ne veut revenir à l’ancien régime.

Ahmed Seif el Islam : « La politique stupide du Conseil militaire égyptien nous aide à remobiliser le peuple. »

Entre le Conseil militaire qui poursuit la politique et les méthodes d’avant et la victoire des forces islamistes pour le moins réactionnaires, la révolution est aujourd’hui dans une phase difficile …

A court terme, c’est très inconfortable. Depuis ces dernières semaines, des choses importantes sont advenues. Suite aux tueries sur la place Tahrir, les 19-23 novembre, des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées. Des villes de Moyenne et Haute Egypte se sont mobilisées, d’Assiout à Assouan, qui avaient été moins impliquées pendant la révolution de janvier. Et le peuple redescendra encore dès qu’il y aura des violences et des trahisons. Grâce à cette mobilisation, nous sommes parvenus à déplacer certains accusés des tribunaux militaires vers des tribunaux civils, à ce que l’élection présidentielle soit avancée en 2012 et non plus en 2013. Il nous a fallu quinze ans pour avoir le droit de critiquer Moubarak et seulement trois mois pour prendre le droit de critiquer Tantaoui et le Conseil militaire, même à la télévision d’Etat et dans les journaux gouvernementaux! En fait, leur politique stupide nous a aidés : plus ils nous répriment, plus ils usent de la violence, plus ils remobilisent le peuple. Désormais, les Egyptiens refusent la violence de l’armée, qui est de plus en plus divisée. Plus le Conseil militaire usera de la violence, plus il nous aidera à les réduire, puis à les expulser. La mobilisation électorale est aussi un des effets de la place Tahrir. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Le Conseil militaire va encore essayer de diminuer les pouvoirs du Parlement et un nouveau jeu politique va se tenir entre l’armée, le Parlement et la place Tahrir. Mais les Egyptiens sont aussi optimistes que moi à long terme. Ils veulent la satisfaction de leurs revendications, en premier lieu la justice sociale. Si ils se rendent compte que le Parlement ne garantit pas cette justice, ils retourneront dans la rue. La révolution est une dynamique, un processus, le jeu est ouvert : on est à la mi-temps d’un match de football !

Comment le mouvement de solidarité international peut-il aider à la libération des prisonniers politiques ?

Votre soutien est très important et nous aide beaucoup. Nous n’appelons pas vos gouvernements à l’aide, mais vos opinions publiques, les civils, les militants. Il faut maintenir la pression sur vos gouvernements, sur les ambassades d’Egypte partout dans le monde.

Entretien réalisé par François Pradal
le Caire, le 7 décembre 2011

En savoir plus

  • #Freealaa : lire ou relire nos articles sur egyptesolidarite.org
  •  Entretien avec Ahmed Seif el Islam du 29 décembre 2011 par tabadoul.net (vidéo)
2 commentaires leave one →
  1. François Pradal permalink
    janvier 5, 2012 6:25

    A lire (anglais) l’entretien d’Alaa Abdel Fattah après sa détention : http://www.jadaliyya.com/pages/index/3888/egyptian-blogger-alaa-abd-el-fattah-on-his-detenti

  2. François Pradal permalink
    janvier 8, 2012 5:42

    Alaa Abdel Fattah explique comment le combat contre les procès militaires continue, et comment la révolution continue (arabe non sous-titré) : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=-QpoSh3EzIQ#!

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